Cette phrase,
écrite le jeudi 17 mai par Henri Manceau dans ses carnets de
guerre, résume deux des aspects essentiels, développés dans
ce numéro, de l'évacuation des Ardennes déclenchée le 12 mai
1940. D'abord, que l'histoire, contrairement à la formule,
"repassait les plats", ensuite que la guerre, devenue
"moderne", en accélérait le cours.
Dans l'ouvrage1,
publié en 1990, pour lequel nous avions recensé plus de 200
témoignages, nous rapportions la phrase plein d'humour de la
grand-mère de M. Trouville, née en 1864 : Évacuer en 70,
en 14 et en 40 ! Les gens vont dire : «On ne voit qu'elle
sur les routes !» Christian Marry, dans son article sur
Ernst Jiinger, rapporte une voix allemande qui lui fait écho
: Dans un village, son caporal lui raconte que son
grand-père était là en 1870 et son père en 1914, c'était
maintenant son tour.
Et c'est allé
très vite ! Malgré une planification de l'exode aussi
"scientifique" qu'impossible à mettre en ?uvre, élaborée
dans les années Trente. Mais il aurait d'abord fallu que les
responsables politiques et militaires croient eux-mêmes en
l'hypothèse qu'ils étudiaient... Dès les premières heures de
l'attaque, les plans - secrets - d'évacuation volaient en
éclats et la population de tout le département fuyait.
Nous ne nous
sommes pas attardés sur l'attaque allemande de mai 40,
n'évoquant que le cas de Monthermé et la présence en ce lieu
de Stauffenberg, un de ces Allemands plus nombreux qu'on ne
croit, qui payèrent de leur vie leur lutte contre le
nazisme. Nous reviendrons sur l'aspect militaire de mai 40
dans le livre, qui couvrira la période 1938-1945, que nous
publierons en décembre et nous vous incitons déjà à
découvrir, à la fin de cette année, le travail filmique de
Barthélémy Vieillot sur les combats dans les Ardennes.
Car, nous
souhaitions que l'essentiel des articles de cette revue soit
consacré à la population civile. Nous racontons donc ces
départs des villes et des villages, ces longs périples pour
gagner les départements d'accueil, ces bombardements
meurtriers, cette débrouillardise nécessaire pour s'en
sortir, ces aides reçues pour atténuer les malheurs... Nous
évoquons la vie des réfugiés en Vendée, dans les Deux-Sèvres
et ailleurs, réfugiés qui ne souhaitent souvent qu'une chose
: revenir chez eux le plus vite possible, en rusant s'il le
faut. Un "chez eux" où manque un prisonnier, habitant
quelque part en Allemagne, mais il est d'autres prisonniers
en Ardennes !
La vie dans le
département est difficile : nous le découvrons à Mohon et
Thin-le-Moutier et nous en comprenons la raison essentielle
à travers l'analyse des rapports des préfets : Les
Ardennes constituent une sorte de grenier à nourriture
confisqué au profit de l'occupant et de ses armées.
Dès la
mi-juillet 40, le régime de l'État français s'est substitué
à la république. Et cela après une loi votée par les députés
et les sénateurs le 10 juillet 1940, à Vichy. 20
parlementaires s'abstiennent, 80 votent contre et 569 pour.
Parmi ces derniers, les six députés et sénateurs ardennais
présents, mais trois ne sont pas là. Gérard Giuliano
présente leur carrière avant ce vote et ce qui leur est
advenu ensuite, tandis que Simon Cocu s'entretient avec le
fils de Maurice Voirin, maire de Mohon et député SFIO, qui
revient sur le sort politique de son père après la
libération.
Un récent livre,
L'exode, Un drame oublié, d'Éric Alary2
qui se veut exhaustif (!) sur cette migration de
plusieurs millions de Français et Françaises ne consacre que
quelques lignes au cas de notre département dont il n'a pas
jugé bon de visiter les Archives départementales où
l'attendaient en vain, par centaines, divers documents.
Fâché avec les sources historiques, l'auteur l'est tout
autant avec la géographie, inventant un Mézières-sur-Rethel
!
Ce numéro, que
nous allons envoyer à Éric Alary pour sa documentation
personnelle, nous le devons en grande partie aux Ardennais
et Ardennaises qui ont répondu à l'appel lancé en
partenariat avec les Archives départementales, les journaux
l'Ardennais et l'union et le Musée Guerre et
Paix. Ainsi, nous avons reçu témoignages et documents
photographiques.
Avant la
publication de notre livre, il y a vingt ans, nous nous
étions longtemps désespérés de n'avoir pas de photos
d'évacuation, avant de tomber sur l'extraordinaire reportage
de l'Américaine Thérèse Bonney, que nous republierons dans
notre ouvrage à venir. Or, ce numéro contient quatre photos
quasi inédites représentant des habitant(es)s de Mouzon,
Sachy et Saulces-Monclin sur les routes de l'évacuation !
C'est la preuve qu'il en dort encore beaucoup dans les
tiroirs, merci de les en sortir très rapidement pour nous
aider à écrire l'histoire des Ardennes, entre 1938 et 1945.
Jacques Lambert