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La revue N° 111

 

 

 

N° 111 - Juin 2010

 

Éditorial

Et ça allait 100 fois plus vite qu'en 1914

     Cette phrase, écrite le jeudi 17 mai par Henri Manceau dans ses carnets de guerre, résume deux des aspects essentiels, développés dans ce numéro, de l'évacuation des Ardennes déclenchée le 12 mai 1940. D'abord, que l'histoire, contrairement à la formule, "repassait les plats", ensuite que la guerre, devenue "moderne", en accélérait le cours.

     Dans l'ouvrage1, publié en 1990, pour lequel nous avions recensé plus de 200 témoignages, nous rapportions la phrase plein d'humour de la grand-mère de M. Trouville, née en 1864 : Évacuer en 70, en 14 et en 40 ! Les gens vont dire : «On ne voit qu'elle sur les routes !» Christian Marry, dans son article sur Ernst Jiinger, rapporte une voix allemande qui lui fait écho : Dans un village, son caporal lui raconte que son grand-père était là en 1870 et son père en 1914, c'était maintenant son tour.

     Et c'est allé très vite ! Malgré une planification de l'exode aussi "scientifique" qu'impossible à mettre en ?uvre, élaborée dans les années Trente. Mais il aurait d'abord fallu que les responsables politiques et militaires croient eux-mêmes en l'hypothèse qu'ils étudiaient... Dès les premières heures de l'attaque, les plans - secrets - d'évacuation volaient en éclats et la population de tout le département fuyait.

     Nous ne nous sommes pas attardés sur l'attaque allemande de mai 40, n'évoquant que le cas de Monthermé et la présence en ce lieu de Stauffenberg, un de ces Allemands plus nombreux qu'on ne croit, qui payèrent de leur vie leur lutte contre le nazisme. Nous reviendrons sur l'aspect militaire de mai 40 dans le livre, qui couvrira la période 1938-1945, que nous publierons en décembre et nous vous incitons déjà à découvrir, à la fin de cette année, le travail filmique de Barthélémy Vieillot sur les combats dans les Ardennes.

     Car, nous souhaitions que l'essentiel des articles de cette revue soit consacré à la population civile. Nous racontons donc ces départs des villes et des villages, ces longs périples pour gagner les départements d'accueil, ces bombardements meurtriers, cette débrouillardise nécessaire pour s'en sortir, ces aides reçues pour atténuer les malheurs... Nous évoquons la vie des réfugiés en Vendée, dans les Deux-Sèvres et ailleurs, réfugiés qui ne souhaitent souvent qu'une chose : revenir chez eux le plus vite possible, en rusant s'il le faut. Un "chez eux" où manque un prisonnier, habitant quelque part en Allemagne, mais il est d'autres prisonniers en Ardennes !

     La vie dans le département est difficile : nous le découvrons à Mohon et Thin-le-Moutier et nous en comprenons la raison essentielle à travers l'analyse des rapports des préfets : Les Ardennes constituent une sorte de grenier à nourriture confisqué au profit de l'occupant et de ses armées.

     Dès la mi-juillet 40, le régime de l'État français s'est substitué à la république. Et cela après une loi votée par les députés et les sénateurs le 10 juillet 1940, à Vichy. 20 parlementaires s'abstiennent, 80 votent contre et 569 pour. Parmi ces derniers, les six députés et sénateurs ardennais présents, mais trois ne sont pas là. Gérard Giuliano présente leur carrière avant ce vote et ce qui leur est advenu ensuite, tandis que Simon Cocu s'entretient avec le fils de Maurice Voirin, maire de Mohon et député SFIO, qui revient sur le sort politique de son père après la libération.

     Un récent livre, L'exode, Un drame oublié, d'Éric Alary2 qui se veut exhaustif (!) sur cette migration de plusieurs millions de Français et Françaises ne consacre que quelques lignes au cas de notre département dont il n'a pas jugé bon de visiter les Archives départementales où l'attendaient en vain, par centaines, divers documents. Fâché avec les sources historiques, l'auteur l'est tout autant avec la géographie, inventant un Mézières-sur-Rethel !

     Ce numéro, que nous allons envoyer à Éric Alary pour sa documentation personnelle, nous le devons en grande partie aux Ardennais et Ardennaises qui ont répondu à l'appel lancé en partenariat avec les Archives départementales, les journaux l'Ardennais et l'union et le Musée Guerre et Paix. Ainsi, nous avons reçu témoignages et documents photographiques.

     Avant la publication de notre livre, il y a vingt ans, nous nous étions longtemps désespérés de n'avoir pas de photos d'évacuation, avant de tomber sur l'extraordinaire reportage de l'Américaine Thérèse Bonney, que nous republierons dans notre ouvrage à venir. Or, ce numéro contient quatre photos quasi inédites représentant des habitant(es)s de Mouzon, Sachy et Saulces-Monclin sur les routes de l'évacuation ! C'est la preuve qu'il en dort encore beaucoup dans les tiroirs, merci de les en sortir très rapidement pour nous aider à écrire l'histoire des Ardennes, entre 1938 et 1945.

Jacques Lambert

1. GIULIANO (Gérard), LAMBERT (Jacques) et ROSTOWSKY (Valérie), Les Ardennais dans la tourmente, de la mobilisation à l'évacuation, Éditions Terres Ardennaises, 1990.

2. Lire le texte que j'ai consacré à cet ouvrage http://www.lunion.presse.fr/article/autres-actus/coup-de-gueule-mezieres-sur-rethel