L'historien Pierre Nora, dans l'ouvrage
qu'il a dirigé : Les lieux de mémoire, vol. 1, Paris,
Quarto-Gallimard, 1997, donne une définition de ce concept
historique : « Les lieux de mémoire, ce sont d'abord des
restes. La forme extrême où subsiste une conscience
commémorative dans une histoire qui l'appelle, parce qu'elle
l'ignore. (...) Musées, archives, cimetières et collections,
fêtes, anniversaires, traités, procès-verbaux, monuments,
sanctuaires, associations, ce sont les buttes témoins d'un
autre âge, des illusions d'éternité. (...) »
Cette notion ne va pas de soi et Henry
Rousso, auteur de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre
mondiale, à propos de ce qu'il appelle un « jeu de l'oie de
l'identité française » réclame ajuste titre une « définition
opératoire de la mémoire collective ».
Mais, comme dans la conclusion de sa
longue analyse des Lieux de mémoire, Paule Petitier1
explique : « L'historien des lieux de mémoire est plus
que jamais selon la formule de Michelet « l'administrateur
du bien des décédés », cette référence au célèbre historien,
dont la famille maternelle est originaire de Renwez2,
me fait franchir le pas pour parler dans cet éditorial de
trois lieux de mémoire en Ardennes.
Le premier, le monument allemand du
cimetière Saint-Charles de Sedan3, n'est pas
évoqué dans ce numéro. Le 17 septembre, la Fondation du
patrimoine des Ardennes ? à laquelle nous avons offert
plusieurs pages dont notre dossier en quadrichromie à
l'occasion de son 20e anniversaire4 ?,
la SHAS, la mairie de Sedan et le Souvenir français ont
lancé une souscription afin de remettre en état ce monument
qui devrait, si le projet est agréé par l'Unesco, devenir
avec 80 autres biens situés en France, en Flandre et en
Wallonie, patrimoine mondial de l'humanité. Après discussion
au sein de notre conseil d'administration, la majorité de
ses membres a décidé de soutenir cette souscription.
Le second, qui est développé dans ce
numéro par Marie-France Barbe, est aussi concret. Il s'agit
de l'ouverture aux Mazures du Chemin de mémoire du
Judenlager5. Dans ce camp unique dans les
Ardennes, entre le 18 janvier 1942 et le 5 janvier 1944, 288
juifs venus de Belgique ont été déportés et mis au travail
forcé. Sur cet effectif, on comptabilise le chiffre
effrayant de 239 morts : 237 en déportation et 2 fusillés
après évasion ; il y eut 22 évadés et 27 survivants. Nous ne
pouvons que souscrire aux vers de Paul Éluard qui ont guidé
la création de ce Chemin de mémoire : « Si l'écho de leurs
voix faiblit, nous périrons. » Le troisième a eu lieu avant
l'hommage que nous voulions rendre à Andrée et Pierre Viénot,
à l'occasion du 40e anniversaire du décès de
l'ancienne maire de Rocroi. Certes, nous n'attendions pas de
Yanny Hureaux, dans sa "beuquette", un commentaire
dithyrambique sur ce couple politique exceptionnel, mais
d'ici à ressortir pour présenter le colloque de Rocroi le
témoignage quelque peu ranci d'Alain Peyrefitte, qualifié à
sa mort, par le journal Libération, de « censeur
gaulliste »...
Je sais pertinemment que mon article ne
rencontrera pas l'écho que cette "beuquette" a eu auprès de
milliers de lecteurs et lectrices. Mais, ainsi que je l'ai
écrit à Yanny Hureaux : « Nous suivons là l'exemple d'Andrée
et Pierre Viénot qui, malgré le peu de chance de voir
triompher leurs idées et leurs valeurs, n'ont jamais failli
à les défendre. »
En soutenant la réfection du monument
allemand de Sedan, en parcourant le Chemin de mémoire des
Mazures et en diffusant mon article, qui rétablit la
véritable stature du couple Viénot, vous aiderez à préserver
la mémoire ardennaise collective, comme notre revue le fait
depuis 34 ans !