L?inauguration du
?Givet-Touriste?
juillet 1908
Haybes,
11 juillet
? Il est difficile, dans une dépêche, d?analyser les
sensations qu?éveillent en nous de merveilleux paysages,
de rappeler tant de souvenirs qu?ils évoquent. De notre
inauguration dans le bateau le « Givet-Touriste » ? de
Laifour à Hastière-Vaulsort (sic), avec banquet à
Givet ? nous ferons un récit spécial d?« impression de
voyage ». En attendant, voici quelques premiers détails
sur cette inauguration.
Départ de Laifour à huit heures et demie. Le bateau en
pitchpin, de 25 mètres de long sur 5 mètres de large est
tout flambant neuf, mais le toit assez surbaissé des
cabines empêche la vue admirable que le voyage promet.
On l?enlèvera. Quarante voyageurs prennent place, parmi
lesquels on remarque : MM. Gorez et Bossut, du
Touring-Club belge ; Thyss, du Syndicat d?initiative de
Namur ; Thomas, du Courrier de Bruxelles ; Terme,
de L?Express de Liège ; Watrin, Lallement,
inspecteur principal de la Compagnie de l?Est ; Mauroy,
sous-inspecteur des douanes ; Caudrelier, ingénieur ;
Hénon, Javelot, des Ponts et Chaussées ; Dunesme et
Bestel ; Briquelet, secrétaire du Givet-Pittoresque ; le
colonel Donau ; le président Hottinger, le secrétaire
Millet.
En
route ! Voici tout de suite les Dames-de-Meuse
ensoleillées et comme souriantes. Géologiquement, nous
sommes en plein Cambrien, jusqu?à Haybes nous sillonnons
la faille creusée dans les schistes noirs de Revin. De
Haybes à Givet nous serons dans le Dévonien. Beaucoup de
Kodacks (sic) ouvrent sur les paysages l??il
curieux de leurs objectifs. Leurs plaques
s?impressionnent de nombreux souvenirs de ce voyage
charmant et nous réserveront d?intéressantes cartes
postales.
Le
bateau file sans incident. Malheureusement les bateaux
engagés dans les écluses retardent le voyage, notamment
à l?écluse d?Orzy, aux turbines Porcher-Druart, devant
Malgrétout, la montagne chère à George Sand.
La
traversée du tunnel de Revin nous prive de voir la ville
qui s?étage dans son admirable cirque.
Des
montagnes, les unes tapissées de verdure, d?autres
noirâtres, se détachent en éperons de quartzites. Les
Kodacks (sic) d?aller toujours.
La
boucle de Fumay est la partie la plus pittoresque du
voyage. Voici l?écluse Saint-Joseph rappelant la vieille
statue du saint ; l?écluse de Luffe, taillée dans le
rocher de quartzite dévonien, séjour légendaire d?une
folle sorcière. Puis apparaît Fumay que l?on contourne,
se distingue la place célèbre de Batty (sic) et sa
chapelle Saint-Roch, pèlerinage des amoureuses.
La
montagne de Divermont, ancienne abbaye des Hiéronimites,
se dresse avec, par endroits, des coupes à pic dans
l?ardoise violette.
Sur
le quai, une foule nombreuse acclame les touristes et
leur bateau neuf qui scintille au soleil. Des bambins
courent et applaudissent, deux d?entre eux brandissent
le Petit Ardennais Illustré.
L?arrivée à Haybes se fait à midi ; un déjeuner de 40
couverts nous attend à l?Hôtel du Commerce.
À
Haybes
Pendant le bon petit déjeuner, l?Harmonie municipale de
Haybes donne concert. Elle nous accompagna jusqu?à Givet
et joua agréablement pendant le trajet.
MM.
Lempereur et Briquelet portent des toasts. Ils
remercient leurs hôtes.
Au
départ de Haybes, à deux heures et demie, une foule
nombreuse nous accompagne. Le nombre des touristes
augmente. Le paysage s?humanise, les monts ne descendent
plus directement dans la Meuse. Le rivage, en forme de
plaine, s?étend au loin à droite, et la vallée
recommencera à Agimont.
Le
long du rivage, la foule nous regarde passer et fait des
signaux avec les mains, les mouchoirs ; les dames nous
envoient des baisers.
À
Molhain, on fait halte pour recevoir MM. Funck et
Delattre, adjoints à Givet, que va chercher la musique.
Il y
a toujours foule sur les quais. La reprise de la route
se fait sans incident.
Ralentissement à Fépin, pour laisser voir le paysage, un
des plus gracieux de la Vallée.
À
l?entrée, le tunnel de Ham, long de 600 mètres, qui
évite la longue boucle de Chooz, ce petit jardin si
fertile do l?Ardenne septentrionale.
De
nombreuses barques attendent à l?avant du
« Givet-Touriste » (c?est le nom du bateau), et à
l?arrière on met les perches qui, semblables à des bras
dont se guide l?aveugle, empêchera le bateau de se
heurter aux parois. Elles font contre ces parois un
bruit impressionnant de tonnerre. À la sortie du tunnel
apparaît Givet avec, dans le coin, son église dont le
clocher stupéfiait V. Hugo, et les tours Grégoire et
Victoire. En passant devant la caserne de 360 mètres de
long, au pied du fort Charlemont les soldats, des
fenêtres, nous font une ovation.
Il
est six heures et demie lorsque nous entrons
majestueusement dans Givet. Une foule nombreuse est sur
les quais.
À 7
heures, un banquet est servi à l?hôtel du Mont-d?Haur et
les excursionnistes terminent gaiement cette première
Journée d?inauguration du « Givet-Touriste ».
Albert
Meyrac
Source : Le Petit Ardennais du 12 juillet 1908 ?
page 1/4
https://archives.cd08.fr/ark:/75583/s005f30e1229987d/5f6a049c79c5d.
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Le banquet du samedi soir
Un
excellent et très confortable banquet fut servi aux
touristes, à l?hôtel du Mont-d?Or.
M.
Fenaux, maire ; MM. Delattre et Funck, adjoints ; le
colonel Donau (président du syndicat d?initiative, et
non secrétaire, comme faisait dire hier la dépêche) ;
Briquelet, Leideinger, secrétaires ; Bestel ; Hanoteau
(constructeur du bateau) et Mme Hanoteau ; Javelot ;
Bossut ; Gorez ; Meyrac ; Thys ; Lempereur ; Thomas ;
Lallement ; Terme ; Berthelot ; Nauroy y assistaient.
M.
Bestel, au nom du Touring-Club, est heureux de constater
le travail considérable fait par la ville de Givet pour
développer le tourisme dans les Ardennes. Pour avoir un
bateau, il fallut, dit-il, avoir grande initiative. Il
rend hommage à M. Briquelet qui fut la cheville
ouvrière, de l?avis de tous, du Syndicat d?initiative de
Givet. Il boit, en terminant, à la prospérité du
Syndicat.
Toast
du colonel Donau
M.
le colonel Donau remercie M. le maire de Givet au nom du
Syndicat d?initiative, les Touring-Club belge et
français, M. Lallement, inspecteur principal de la
Compagnie de l?Est, à Charleville, Henri Rolland du T.
C. F., enfin la Presse belge et française. De son
discours qui contient d?excellents passages relatifs au
tourisme, à l?organisation et au développement des
voyages, nous extrayons le passage suivant : Nous
sommes à la veille d?en donner une nouvelle preuve plus
objective en formant une Fédération des Syndicats
d?initiative et d?attraction de la vallée de la Meuse
franco-belge. Cette institution nouvelle est une
nécessité. Les touristes à la recherche des beautés
naturelles et monumentales visitent, en effet, une
région, sans se préoccuper des limites que la politique
y a tracées. Pour les attirer, leur faciliter le voyage
ou le séjour, il y a donc un intérêt majeur à ce que
tous les syndicats de l?unité touristique qu?est la
région travaillent en commun. Dans l?avenir, nous
pousserons plus loin l?esprit d?association
internationale, car je considère que la Fédération des
Syndicats de la Vallée de la Meuse n?est qu?un premier
pas vers la fédération ultérieure de tous les Syndicats
de l?Ardenne, c'est-à-dire de la grande région
géologique et pittoresque, très homogène, qui est
limitée au nord par la Sambre et la Meuse, au sud par la
Sormonne et la Chiers.
Ce
grand massif ardennais est coupé de Mézières à Namur,
presque dans son milieu, par la superbe avenue de la
Meuse, chemin d?accès naturel et parcours intérieur le
plus fréquenté, sur lequel s?embranchent toutes les
voies de pénétration secondaires : rivières, chemins de
fer, routes. L?achèvement de l?organisation touristique
de cette vallée-maîtresse s?impose donc au premier chef
dans l?intérêt général de la région entière. En ce qui
concerne les chemins de fer, la mise en marche de trains
d?excursion, la création de billets d?aller et retour
utilisables sur les bateaux pour un trajet, quelques
améliorations d?horaires sont désirables. Le service de
navigation, qui fonctionne de longue date entre Namur et
Vaulsort, est maintenant prolongé jusqu?à Laifour ; il
le sera l?an prochain jusqu?à Monthermé, porte ouverte
sur l?Ardenne belge par la magnifique vallée de la Semoy
et charmant lieu de séjour pourvu de bons hôtels ; il
atteindra peut-être plus tard Mézières. Quant aux
routes, quelques entrées et sorties de localités sont à
améliorer, mais, avant tout, il importe au plus haut
degré d?ouvrir une voie carrossable, automobile et
cycliste, aux pieds des Dames-de-Meuse, entre Revin et
Laifour.
Si
long que soit ce programme, il est loin d?être complet.
Entre autres choses, il ne nous échappe pas qu?il y a
lieu d?aménager les hôtels et bonnes auberges de la
Vallée, qui doivent être convenablement échelonnés et de
prix accessibles au grand public ; qu?il est utile de
perfectionner et de multiplier les voies de pénétration
du massif ; qu?il est intéressant de prévoir des lieux
de villégiature d?été sur nos plateaux de moyenne
altitude, dans nos villages forestiers si sains et si
pittoresques ; qu?il est avant tout d?une importance
capitale de consacrer toutes nos forces au reboisement
qui embellit, assainit et enrichit, à la conservation de
nos sites admirables, de nos monuments et de nos ruines,
qui sont la source de nos richesses et le fondement de
nos espérances.
Notre tâche est lourde et cependant nous envisageons
l?avenir avec confiance, parce que nous travaillons sur
un sol fécond, parce que tous les vrais c?urs ardennais
nous approuvent et nous attendent, parce que
l?initiative privée boit les obstacles, parce que nous
nous appuyons sur le concours de deux puissants
Touring-Clubs, de nos élus et de l?administration.
Autres
toasts
M.
Fenaux, maire de Givet, remercie le Syndicat
d?initiative de sa gracieuse invitation. Il constate le
triomphe de cette belle journée qui consacre les
précieux résultats obtenus par Givet-Pittoresque. M.
Fenaux félicite cette société pleine d?activité et boit
à sa prospérité.
M.
Thyss, délégué du Syndicat d?initiative de Namur, au nom
du président Greysson de Schooat remercie à son tour et
constate l?étroite solidarité entre les des Syndicats de
Givet et de Namur et fait entrevoir une Fédération des
Syndicats d?initiative ardennais et belge.
M.
Gorez, au nom du Touring-Club belge, boit à la
prospérité du Givet-Pittoresque. M. Bossot, aussi
délégué du Touring-Club belge, boit à la France, nation
amie et s?ur. Il boit à M. Lempereur, non un Napoléon
quelconque, mais un directeur dévoué du service du
syndicat. Il boit aussi au Touring-Club de France,
initiateur et modèle du Touring-Club belge.
M.
Thomas boit à Mme Hanoteau, la seule dame qui voulût
être l?ornement du banquet et aussi aux autres dames qui
n?assistent pas au banquet, mais furent la joie de ce
premier voyage. Il boit également à leurs enfants qui
furent également de l?excursion.
Les
toasts sont terminés. Plusieurs des convives prennent
rapidement la parole pour rendre hommage à M. Briquelet,
sans lequel tant de choses n?auraient pas réussi.
II
est 10 heures. D?un commun accord tous les convives vont
au café de l?Europe boire sur la terrasse de la bière
fraîche en savourant aussi la fraîcheur qui vient de la
Meuse et des monticules d?en face. Cette journée de
samedi fut terriblement chaude. Elle s?annonce dimanche
malin comme devant n?être pas moins chaude, au moment où
les touristes de l?excursion vont aux grottes de Nichet,
grottes que nos lecteurs connaissent, soient qu?ils les
aient vues, soient qu?ils en aient lu plusieurs fois la
description détaillée dans le Petit Ardennais.
À
deux heures et demie aura lieu le départ pour Hastières,
Vaulsort, où se terminera cette inauguration qui fut
un succès du bateau Givet-Touriste et dont le
Syndicat givetois d?initiative doit être légitimement
fier.
A. MEYRAC
Source : Le Petit Ardennais du 13 juillet 1908 ?
page 1/4
https://archives.cd08.fr/ark:/75583/s005f30e12299a6b/606cc82ef34b5.
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Avec
ce troisième et dernier article (les deux premiers
envoyés par dépêche), je termine le récit de cette
attrayante inauguration. Ce fut, dans la matinée du
dimanche, une excursion aux grottes de Nichet, que
trouvèrent curieuses et méritant d?être visitées, ceux
des touristes ne les connaissant pas encore ; mais nous
les avons trop souvent décrites ici-même pour qu?il soit
inutile de les y re-décrire.
Il
est maintenant deux heures de l?après-midi, et le bateau
qui doit repartir de Givet à deux heures et demie pour
Hastière-Lavaux n?en est pas encore revenu. La faute en
est aux écluses qui retardent sa marche ; quelquefois,
il lui fallut attendre trois quarts d?heure que des
gabarres eussent passé. Mais cela n?arrivera plus, les
éclusiers maintenant, ont ordre de faire passer le
premier, parce que service public, le
« Givet-Touriste ». Sur le quai du petit port givetois,
les curieux, surtout les charmantes curieuses,
quelques-unes en fraîches toilettes blanches (pour un
peu plus je chanterais la romance de Marie : « Une robe
légère? », tout justement du Givetois Méhul, et les
futurs partants se promènent.
Cette
animation inusitée dans la ville un peu morte, en temps
ordinaire, de Givet, donne de l?attrait à ce paysage que
traverse la Meuse. Sur elle reposent, à l?ancre, une
douzaine de gabarres mâtées et pontées et deux
remorqueurs noirs de la fumée d?hier. D?une des arches
du pont débouche un autre remorqueur traînant trois
longs bateaux chargés d?écorces, que des cafés d?en face
on « voit passer tout en vidant son verre », comme dans
Faust. Dans le plan du fond, semblant cercler le port
ainsi qu?un lac, les monticules revêtus d?une verdure de
fête. S?avançant, gigantesque angle grisâtre dans le
fleuve, l?ancien corps de garde, mélancoliquement
flanqué de deux grands débris (se consolent-ils entre
eux ?) de la porte Charbonnière. Sur les herbes
tapissant les pierres du quai, les musiciens de la
fanfare Givetoise, qui donneront un concert le long de
la traversée, laissent dormir autour de la grosse
caisse, semblant être une mère couveuse, leurs
instruments dont le cuivre, furieusement astiqué le
matin, reluit au soleil.
Un
soleil traître ! Il nous prépare un orage, avec ses
complices, certains nuages sombres qui grandissent et
s?épaississent sournoisement.
En
attendant le bateau qui se fait toujours désirer,
coquettement, comme une jolie femme, quelques touristes
ont plaisir à recevoir les premières épreuves des cartes
postales illustrées qu?avaient prises la veille M.
Winling. Elles sont charmantes ces cartes et seront pour
ceux de l?inauguration, un agréable souvenir. Il
commence à se faire tard. Décidément, je n?irai pas à
Hastière, me méfiant de ne pouvoir prendre le train qui
me ramènerait à Givet. Et comme j?eus raison ! Un peu
après cinq heures, alors qu?était parti le bateau,
entraîné et par sa machine et par une sélection de
Rigoletto que jouait la fanfare, la pluie
torrentielle s?abattait sur Givet avec, pour
accompagnement de basse, les roulements du tonnerre.
Oh !
comme je me réjouissais de ne m?être point embarqué !
Aussi bien, l?excursion officielle était terminée. Mais
ce mot « officielle », n?est-il pas un bien gros mot, si
j?en songe à l?accueil cordial, entouré de prévenances,
que firent à leurs invités ces messieurs du Givet
Pittoresque et du Syndicat d?initiative ? Puisse un
jour, le « Givet-Touriste » arriver jusqu?à Monthermé,
au c?ur même de la Vallée de la Meuse, et surtout aussi
jusqu?à Charleville. Que d?excursionnistes ils y
rencontreraient ! Nous savons d?ailleurs que tel est le
désir du Syndicat. Un désir qui se réalisera, parce que,
déjà, il est obsession chez ces Givetois
« d?initiative ».
Sur
ce pimpant vapeur, aurai-je encore l?heureuse occasion
de retrouver mes trois confrères belges : Thomas, du
Courrier de Bruxelles ; Terme, de L?Express
de Liège, et Thyss, de Namur, qui furent trois
spirituels compagnons de route.
Albert
Meyrac
Source : Le Petit Ardennais des 14 et 15 juillet
1908 ? page1/4
https://archives.cd08.fr/ark:/75583/s005f30e12299c4f/5fbaeb7a9c183.
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