Description
Je suis né en 1895 à Monthermé. À bord de l'Espérance, le bateau de mes parents. C'est par hasard qu'il était, ce jour là, tout près de la maison de grand-mère. C'est une fierté chez les mariniers de naître à bord du bateau familial, notre maison à nous. Grand-mère est vite allée chercher la sage-femme et l'a assistée pour l'accouchement. Le premier de ses petits-enfants !
Grand-mère Eugénie, à la mort prématurée de grand-père Fernand, avait mis toutes ses économies dans cette petite maison. À deux pas du port et vue sur la Meuse et les bateliers... C'est que les mariniers aiment passer leurs vieux jours auprès de l'eau. Dans leur monde à eux. Car pour nous, il y a deux sortes de mondes. Deux sorte d'hommes : les gens d'à bord et le gens d'à terre, qui ne se côtoient que pour les besoins de leur métier !
Mes parents, Eugène et Alice, m'ont prénommé Nicolas. Nous sommes nombreux sur les rivières ! C'est le saint patron des bateliers.
L'année de mes six ans, mes parents ont demandé à ma tante Catherine, la plus jeune soeur de papa et à son mari Emile de m'accueillir chez eux dans le village du Chesne-Populeux. Papa et maman voulaient que je rentre à l'école parce que trop de mariniers sont encore illettrés. C'est un désavantage certain pour l'évolution de notre profession, si elle veut conserver et développer sa place dans le monde de l'économie moderne. Pourtant la scolarité est obligatoire depuis les lois de Jules Ferry, il y a plus de 25 ans.
Tante Catherine et oncle Emile s'étaient rencontrés lors d'un arrêt forcé pendant le rigoureux hiver de 1892. Le bateau de grand-père Henri et grand-mère Mathilde, le Roulis, était resté 43 jours, immobilisé par 40 centimètres de glace, à proximité de la première écluse de l'échelle de Montgon. Le brise-glace avait dû renoncer à les délivrer. (...)