Éditorial

Résistance et cahiers de doléances

Fidèle à la collaboration étroite qui lie les Archives départementales des Ardennes aux Éditions Terres Ardennaises, Stéphane Poupart m’avait envoyé bien en avance son très important et intéressant article sur la Résistance. Comme nous entrons dans l’année qui verra le 80^e anniversaire de la Libération de la France, j’avais fait le choix que cette contribution ouvrirait ce numéro.

De mon côté, alerté comme tous les citoyens par les difficultés que vivent nombre de nos concitoyens : « En 2019, 13,1 % de la population est en situation de privation matérielle et sociale. Ces personnes ne peuvent pas, pour des raisons financières, couvrir les dépenses d’au moins cinq éléments de la vie courante sur une liste de treize (pouvoir chauffer son logement, acheter des vêtements neufs, etc.)^[1] », j’avais décidé depuis plusieurs mois d’analyser la question de la pauvreté et de la mendicité dans les cahiers de doléances ardennais. Ils ont été opportunément réunis pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989 par le conseil général des Ardennes et les Archives départementales. Cependant je remettais toujours à demain cette plongée dans un ouvrage gros de 647 pages, même si un index fort utile pouvait me guider dans mes recherches.

Mais le cri d’alarme des Restos du cœur comme d’autres associations nationales devant l’explosion de la pauvreté en 2023, qui se traduit aussi par une multiplication visible de personnes mendiant dans les rues, et l’impossibilité d’y répondre comme les années précédentes, m’a poussé à étudier ce qu’étaient la pauvreté et la mendicité dans le territoire de ce qui deviendra les Ardennes en 1790 et les moyens qui étaient envisagés pour les réduire, et, pour les plus radicaux, les éradiquer.

Coïncidence, un ami lecteur, Gilles Bardelay, à qui j’avais fait part de mon projet, m’a adressé le numéro du 4 décembre 2023 de « Libres Opinions », rédigé par Jacques Jeanteur, personnalité politique des Ardennes qu’on ne peut taxer d’extrémisme ! Avec l’accord de Jacques Jeanteur, je reprends une partie de son texte : « Actuellement à la conférence Saint Vincent de Paul de Charleville, nous sommes confrontés à une progression forte de la précarité et à une baisse importante des produits alimentaires livrés par la Banque alimentaire, qui a de plus en plus de difficultés à s’approvisionner. Nous aidons un peu plus de 130 familles tous les quinze jours, vacances comprises, et nous faisons des colis d’urgence à la demande des services sociaux à une douzaine de familles par semaine. »

De manière fortuite, les deux articles se « parlent ». Les demandes des cahiers de doléances n’ont-elles pas pour meilleures réponses certaines décisions, préconisées par le Conseil National de la Résistance le 15 mars 1944 pour bâtir une France socialement plus juste. En voici quelques-unes : « Un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ; un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ; une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours^[2]. »

1789, 1944, 2023... L’Histoire pour le moins continue, voire se répète !

Jacques Lambert

^[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5759045

^[2] https://eduscol.education.fr/document/31786/download